TEMOIGNAGE d'un employé en 1928
Je vais vous faire part, dans les pages suivantes, comment l’Asile Public d’Aliénés avait été perçu par Monsieur Charles Thivolle (né en 1911), employé à l’Administration du 1er avril 1928 au 1er avril 1971. Il y a travaillé 43 ans avant de prendre sa retraite à l’âge de 60 ans, comme Chef de Bureau honoraire.
Charles Thivolle avait été engagé à l'Asile à l’âge de 17 ans, à titre de pupille de la nation. Cela lui avait valu une certaine priorité.
Aujourd'hui, en 2005, il reste le seul survivant de cette époque…
L’ASILE PUBLIC D’ALIÉNÉS DE SAINT ROBERT
En 1928, l'effectif en malades de l’Asile Public d’Aliénés de St Robert se compose de cette façon :
- Aliénés : environ 1400
- Incurables : environ 200
Soit un total d'environ 1600 malades.
La 2ème catégorie concerne des malades de l'Asile d’Incurable de Vence. Il dépendent de la même direction que Saint Robert. Ces malades, non aliénés, qui n'étaient pas soumis à la Loi du 30 juin 1838, jouissaient donc de leurs droits civiques, sauf dans quelques cas d'interdiction.
Pour cette même année 1928, l'effectif en personnel se compose de cette façon :
- Civils : environ 160
- Religieuses : environ 90
Soit un total d'environ 250.
Les horaires de travail à partir du 1er janvier 1928 sont de 48 heures par semaine pour le personnel civil. Par contre, il n'y a pas d'horaire déterminé pour les religieuses. En ce qui concerne les congés, on ne compte pas plus de huit à quinze jours par an pour le personnel secondaire civil.
Le secteur hommes du service médical occupait du personnel masculin, tandis que le secteur femmes occupaient du personnel féminin, composé en très grande partie de religieuses. Le peu de personnel civil féminin était célibataire et logeait dans les pavillons. Il s'agissait des filles de services, placées sous l'autorité sévère de la mère supérieure qui les avait recrutées.
Avant 1928, le personnel masculin (servants, infirmiers et chefs de pavillon), célibataire ou marié, logeait aussi dans les pavillons. Les mariés ne pouvait aller dormir chez eux que la nuit de leur congé hebdomadaire, lequel congé (dit jours de repos) était décalé d'un jour chaque semaine.
Tous ce personnel masculin ( ainsi que quelques préposés aux services généraux ) portait l'uniforme et la casquette qui était parfois galonnée.
Jusqu'à cette époque, la majeure partie du personnel dit « secondaire » venait, soit de la Savoie, dans la région de Chamousset, soit de la Matheysine, dans la région de La Motte d’Aveillans, suivant le pays d'origine du directeur alors en fonction. Mais avec l'entrée en vigueur de la journée de huit heures, un assez grand nombre de saint-égrévois ou des environs vinrent grossir l'effectif de ce personnel.
Dans le secteur femmes, il n'existait pas d'infirmière ni de chef de pavillon civil. Ces fonctions étaient assurées par les religieuses. La Supérieure de la Communauté avait le rôle de chef surveillante qu’elle remplissait avec énormément de rigueur.
Les Religieuses de la Charité de La Roche-sur-Foron étaient répartis dans le Service Médical et dans les Services Généraux ( lingerie, buanderie, cuisines, pharmacie, élevage des volailles, laiterie) .
Elle ne percevait pas de salaire, mais la Supérieure recevait pour chacune d'elles une « indemnité de vêture » dite « vestiaire en argent des sœurs » dont le montant était dérisoire.
Les cours d'infirmiers n'ont été mis en place qu'en 1927. Jusque-là, la promotion d'un servant se faisait au choix par le Directeur, suivant les appréciations fournies par le Médecin-Chef.
Pour la nomination d'un chef de pavillon où d’un surveillant, il existait un genre d'examen probatoire en plus de ces appréciations. Le servant ou le préposé débutant percevait un salaire mensuel d'environ 530 F ( soit en nouveaux francs 5,30 F).
À cette époque, la Sécurité Sociale n’existait pas encore. Elle ne fit son apparition qu’en 1931, sous le nom d’ « Assurances Sociales ». De ce fait, si les cadres bénéficiaient en, fin de carrière d’une retraite convenable, versée par la Caisse départementales des Retraites, les non-cadres par contre ne pouvaient prétendre qu’à une très modeste Indemnité de Reposance
Cette forme de retraite était servie trimestriellement en espèces au « reposant », à moins que celui-ci n’ait préféré en profiter en nature en logeant à l’établissement où il fut nourri, habillé et soigné gratuitement jusqu’à la fin de sa vie au milieu des malades. Il pourra même être inhumé dans le cimetière privé de l’Asile.
Cette situation, bien-sûr, n’intéressait que les agents célibataires, veufs ou sans famille.
C’était le Pavillon Gasparin qui hébergeait ces « reposants », le pavillon le plus agréable de l’Asile. Il avait comme un air de « vieille maison de ferme ». Ici, pas de grands murs ni de contraintes (fossé empêchant l’accès au murs extérieurs). Il était ouvert à tous, avec sa cour simplement entourée d’une haie d’arbustes, où dans le milieu on apercevait une jolie tonnelle de vigne, et dans le fond des jeux de boules. Il abritait surtout des malades travailleurs très calmes et familiers qui sympathisaient facilement avec les paisibles reposants, vivant sous le même toit qu’eux, et qui appartiennent vraiment au passé. Car aujourd’hui, tous les agents de l’Hôpital Psychiatrique sont heureusement affiliés à la Caisse Nationale de Retraite des Agents des Collectivités locales.
LES DIFFERENTS SERVICES
Le Service Médical
À sa tête, on comptait seulement deux médecins-chefs (qui étaient messieurs les docteurs Bonyer et Jourdran en 1928). Ils étaient tous deux assistés de :
- 3 ou 4 internes en médecine
- 1 chef surveillant (Monsieur Geoffroy)
- 1 sœur-supérieure (Sœur Lésia)
- 3 surveillants (Messieurs Vallier, Pizot et Parchet à Vence).
Les soins dentaires étaient déjà assurés par un dentiste extérieur à l’Asile. Il venait une fois par semaine.
La pharmacie
Ce service n’avait pas l’importance qu’il occupe aujourd’hui. Il était alors assuré uniquement par une sœur compétente.
Ce n’est que bien plus tard qu’une pharmacienne diplômée civile sera nommée et assistée de préparateurs brevetés. Avec l’emploi de plus en plus intense des médicaments, ce service a pris rapidement beaucoup d’extension.
Le Service religieux
L’Asile, possédant une très belle chapelle, les offices étaient célébrés par un aumôniers (Monsieur l’Abbé Normand). Il logeait dans l’établissement et assurait tous les services du cultes.
L’Administration
Il y avait à sa tête un Directeur qui n’était pas médecin. À cette époque, Monsieur Cuchet-Chéruzel occupait les fonctions à la fois de directeur de l’Asile d’Aliénés et Directeur de l’Asile d’Incurables de Vence.
Il était assisté dans ses fonctions de :
- d’un économe (Monsieur Jacobin)
- d’un receveur (Monsieur Armand)
- d’un secrétaire de Direction (Monsieur Cuchet)
les bureaux employaient :
- 2 rédacteurs
- 2 commis aux écritures
- 1 dactylo
- 1 dépensier
- 3 préposés aux Services Généraux
- 2 garçons de bureau
- … et 3 ou 4 malades.
La lingerie
Tout le linge y était stocké. Remarquable par sa tenue, l’alignement des différents tissus et des couleurs, et grâce à l’habilité des sœurs, il y régnait un tel ordre que cela procurait un merveilleux effet décoratif, un plaisir pour les yeux. Et quelle propreté !
Tout était confectionné par l’ouvroir qui occupait plusieurs malades femmes. Vêtements pour les malades indigents, linges, draps, serviettes, mouchoirs, tabliers, chaussettes, etc.… Tout y était fabriqué solidement. Il existait un vestiaire pour les malades arrivés avec leurs propres vêtements. Malheureusement, ces vêtements étaient le plus souvent mal-menés à la désinfection ou trop imprégnés de naphtaline. Cela soulevait souvent des litiges lorsqu’ils étaient un jour restitués à leur propriétaire.
La buanderie
Chaque secteur (hommes ou femmes) disposait d’un petit pavillon destiné aux bains… thérapeutiques. Ces bains avaient un effet plus que calmant.
On amenait le malade agité que l’on plongeait dans une baignoire remplie d’eau tiède. On le maintenait en place grâce à une planche fixée, tel un couvercle, à la baignoire. Précisons que cette planche était percée d’un trou rond, suffisamment grand pour laisser passer la tête du malade hors de la « vasque ». L’expression « la planche au cou » avait une redoutable signification pour les malades. Lorsqu’on entrait dans la buanderie, le spectacle qui s’offrait à nos yeux était assez sinistre. On avait impression d’observer des têtes décapitées, posées sur des planches !
On laissait donc mijoter le malade dans ce bain pendant des heures ( 7 heures parfois) jusqu’à ce qu’il n’ait plus la force de crier. On le ressortait complètement épuisé, livide comme un cadavre, presque méconnaissable, et on le ramenait à son pavillon dans une civière.
S’il y avait un chauffeur de chaudière pour ces deux pavillons, la baignade était cependant contrôlée par le personnel de chaque section. Il existait bien tout un système d’hydrothérapie plus moderne et plus complexe, avec des douches dorsales, des bains de vapeurs, une piscine… mais ils n’ont que très rarement fonctionnés… Sans doute parce que c’était là un traitement de faveur ! On préférait la méthode dure pour les malades. Cet ensemble a d’ailleurs été transformé plus tard, pour être utilisé à d’autres fins.
Les cellules
Outre le « bain », il existait pour les malades agités ou dangereux chroniques, tout un choix de cellules qui étaient bien peu hospitalières, et profondément… lugubres.
À cette époque, l’Asile avait beaucoup plus l’aspect d’une prison que celui d’un hôpital, avec ses fenêtres à barreaux, ses hauts murs, ses contraintes ou « saut de loup » dans les cours… Même les vêtements des malades les faisaient ressembler plus à des prisonniers qu’à des hospitalisés. La plupart d’entre eux étaient chaussés de galoches (sabots en bois). Seuls les malades pensionnaires qui payaient leur journée échappaient à l’uniforme. Ils conservaient leurs vêtements personnels car on exigeait pour eux qu’il viennent avec leur trousseau.
Au sujet des cellules elle-mêmes, on y barricadait les malades furieux qui n’avaient pour litière qu’un tas de paille. La nourriture leurs était présentée à travers un guichet, comme s’il s’agissait de moines ou de… prisonniers.
Il arrivait parfois qu’on doive leurs passer la camisole de force dans laquelle les bras se trouvaient emprisonnés dans le dos, ou bien encore on leurs attachait les poignets près de la taille à l’aide sangles. Avant l’intervention du docteur Pinel, décédé en 1826, les fous étaient souvent attachés et même battus.
Si l’ergothérapie se pratiquaient déjà à l'Asile sous une certaine forme, ce n'était pas celle d'aujourd'hui.
Les malades étaient occupés ( mais non contraints) à des travaux souvent pénibles et répugnants ( à la ferme, ou à la buanderie) . Ils se rendaient à certaines corvées comme des prisonniers, toujours sous la surveillance d'un gardien. On les trouvait aussi dans tous les services, même dans les bureaux. Ils représentaient ainsi la plus importante main-d’œuvre de l'établissement, pour un pécule des plus dérisoires.
Les corvées
Le transport des eaux grasses
Bien que cette corvée ne fût pas très agréable, elle offrait un néanmoins un certain pittoresque. Le ramassage des eaux grasses devant chaque pavillon se pratiquait tous les jours. On les déversait dans un immense tonneau placé sur des roues, traîné par une vieille mule qu'un malade conduisait pendant tout le ramassage. Un autre malade, « manutentionnaire », suivait derrière le tonneau chaque déplacement, mais de si près qu'il avait les années juste au-dessus de l'ouverture par où les eaux grasses étaient déversées. Comme il s'en dégageait une odeur à fort aigre et des plus nauséabondes, on sait souvent demandé comment cet homme pouvait résister à une telle puanteur. Sans doute que son odorat avait fini par s'y habituer avec le temps. Quand les tombereau était trop plein, il arrivait parfois que dans un cahot, il en ressort quelques éclaboussures au visage.
Le transport de la paille des gâteux
On entassait sur le char de la ferme toute la paille souillée qui avait servi de litière aux pauvres gâteux pour la transporter à la porcherie de manière qu'elle puisse servir seconde fois de litière, mais aux cochons cette fois-ci.
De malades étaient affectés à ce transport. L'un conduisait le cheval, tandis que l'autre, à sa plus grande joie, grimpait tout en haut du changement. Ayant tout loisir de se prélasser dans cette paille, il n'aurait cédé sa place à personne...
Les vidanges
Elles avaient lieu deux ou trois fois par an. Fort heureusement, bien peu de malades participaient à cette corvée. C'est une société spécialisée qui venait de Grenoble avec d'énormes camions citernes.
Pendant plusieurs jours, on assistait à un va-et-vient incessant de ces véhicules bruyants dans tout l'établissement. Ils passaient d'une fosse de pavillon à une autre, avant d'aller déversé le contenu de leurs citernes dans un dépotoir situé près de l'Isère, ou de le répandre sur les terrains de culture en guise de fumure. Il est inutile de vous préciser quelle planteur se dégageait de ces engins lorsqu'ils passaient non loin de vous... en plus du nuage de poussière qu'ils soulevaient en roulant sur des chemins secs.
Toutes ces corvées faisaient partie du spectacle qu'offrait l'asile. Imaginez-vous aussi que certains pavillons n'étaient pas suffisamment équipés de WC, et qu'il y avait des tinettes dans les dortoirs. Les égouts n'existaient pas non plus.
Les autres corvées assuraient des missions beaucoup plus anodines.
Deux équipes de malades étaient désignées. Chacune d’elle avait un rôle bien défini, et était nommée d’une façon amusante :
- « la petite bricole » concernait le nettoyage des allées (dirigée par Monsieur Dentroux), et
- « la grande bricole » pour l’enlèvement des ordures (dirigée par Monsieur Berthollet).
Ces deux bricoles étaient considérées très sympathiques par les malades. Sous la conduite de leur gardien, l’une et l’autre se faisait de manière décontractée, un peu à la façon de nos anciens cantonniers.
La petite bricole n’avait droit à un tout petit tombereau, tiré et poussé par les malades, alors que la grande bricole disposait d'un véhicule plus important, quelques fois tirée par un vieux mulet, et lorsque chargement devenait trop lourd pour être tracté par des hommes. C’est à l'automne que ces deux équipes avaient le plus de travail, avec la chute des feuilles.
Les conciergeries
Leur importance était capitale, du fait que les malades ne devaient jamais sortir seul de l'enceinte de l'Asile - à part certains, très calmes et sûrs, employés à la ferme.
Les concierges étaient donc très vigilants. Ils contrôlaient même les allées et venues des employés et de leur famille, allant même parfois jusqu'à inspecter leurs sacs à provisions pour s'assurer qu'ils ne se livraient à aucun trafic lorsqu'ils sortaient.
Il y avait deux conciergeries :
- La conciergerie Nord ( dirigée par Madame Roguin) qui existait toujours à l'emplacement qu'on lui connaît, rue de la gare,
- et la conciergerie Sud ( dirigée par Madame Doriat) qui desservait le trafic vers la ferme et la cité du personnel.
La conciergerie Nord était bien sûr beaucoup plus active, situé à l'entrée principale de l'Asile. Elle possédait une puissante cloche qui annonçait les entrées et les visites qui se présentaient, suivant un code établi par la direction, ce qui surprenait toujours les visiteurs. D'autant plus que certains concierges intérimaires, la sonnaient avec plus ou moins de fantaisie et de vigueur... L'usage de la cloche était d'ailleurs très répandu à l'Asile. On en trouvait dans chaque pavillon et dans chaque service. Cela rappelait parfois le.. monastère.
Les voitures
En 1928, l’Asile ne possédait pas encore de véhicule automobile. Aucun des membres du personnel n’en possédait, pas même le Directeur.
Pour le transport des marchandises, il existait un genre de fourgon à chevaux.
De plus, un fiacre quelque peu archaïque était à la disposition du directeur et des médecins-chefs.
Il y avait aussi un break pittoresque, tiré par un cheval, utilisé par l'Économe, le Receveur, ou le Secrétaire de Direction pour leurs déplacements à Grenoble, uniquement pour les besoins du service (Préfecture, Trésorerie, fournisseurs, Tutelle des aliénés, etc.) . Ce break sera utilisé jusqu'à l'achat d'une fourgonnette automobile, quelques années plus tard. C'était toujours amusant de le voir déambuler sur la Route Nationale et dans les rues de Grenoble parce que notre brave cheval ne se sentait pas tellement à l'aise dans une circulation qui commençait à devenir difficile. Les gens riaient sur le passage de cet engin aussi démodé. Il faut dire aussi que ce même véhicule était parfois mis à la disposition de Madame la Mère Supérieure, et qu'il transportait une ou deux fois par semaine et les épouses de Messieurs les Chefs de Bureau lorsqu'elles avaient des courses à faire à Grenoble.
Ce droit au break accordée à une certaine catégorie d'employés privilégiés montre ce qu'était la hiérarchie à cette époque.
L’Économe, le Receveur et le Secrétaire de Direction, par leur titre de Chef de bureau, représentaient sans aucune idée péjorative, une certaine « caste » supérieure bénéficiant de nombreux avantages en nature. En plus d'un logement de fonction, ils avaient droit aussi à un valet de chambre, et un grand jardin-potager entretenu personnellement par un jardinier. Ces emplois étaient tenus par des malades bien sûr faiblement rétribués.
Les décès
Les funérailles étaient en principe religieuses, mais la volonté du défunt ou de sa famille était respectée. Le cercueil en bois blanc était des plus rustiques, sans aucun ornement ( à moins que la famille n'en fournissent un plus luxueux à ses frais) .
Il n'y avait aucun monument dans ce cimetière. Seul des petites croix de bois uniformes, bien alignées, signalaient simplement les tombes. Actuellement, ce petit cimetière n'existe plus. L'hôpital dispose d'un carré réservé dans le cimetière communal, à La Monta, pour ensevelir ses morts.
Le séjour à l'asile, avec ses différentes classes d'hospitalisation
Il existait quatre classes de séjour pour les malades dits « pensionnaires », placés volontairement par les familles qui en réglaient les frais de pension.
Seules, les trois premières classes avaient droit au pensionnat si l'état du malade le permettait. Il s'agissait d'un pavillon nettement plus confortable et luxueux que les autres, un peu bourgeois même, agrémenté d'un parc. Chaque pensionnat ( il y en avait deux) avait un salon agréable avec un piano pour les dames et un billard pour les messieurs. Le pensionnat des dames est l'actuel pavillon Evrat.
La 4ème classe, ou régime commun aux malades indigents placés d'office, était répartie dans les autres pavillons.
Les malades de 1ère classe avait droit à une chambre individuelle ( toujours en fonction de leur état), et ceux des deux autres classes ( la 2ème est la 3ème) pouvait en obtenir une suivant un supplément assez modique.
Certains malades de 1ère classe pouvaient s'offrir également, moyennant un supplément de 60 francs par mois, un gardien particulier, dit « domestique au compte de la famille » dans le règlement de l'établissement.
À cette époque, les prix de séjours n'avait aucun rapport avec ceux pratiqués aujourd'hui.
- La 1ère classe coûtait environ 10 F,
- la 2ème classe coûtait environ 8 F,
- la 3ème classe coûtait environ 6 F,
- la 4ème classe coûtait environ 3 F.
Il s'agit d'anciens francs, bien entendu.
Les soins médicaux toutefois étaient les mêmes pour toutes les classes, mais les pensionnaires remboursaient le coût des médicaments.
Les malades pensionnaire n'étaient pas habillés par l'établissement : un trousseau personnel complet était fourni par la famille au moment de l'entrée.
Plus tard, ces différentes classes ont été supprimées, pour faire place à un régime unique pour tous les internés.
Les pensionnats ont vu ainsi leur rôle disparaître. Chaque malade est désormais traité et logé sur un même pied d'égalité, que ses frais de séjour soient réglés par sa famille ou par les Collectivités.
Le menu en 1928
Si les malades étaient suffisamment nourris, la préparation des repas, par contre, laissait beaucoup à désirer. C’était un peu la cuisine de la caserne...
La 4ème classe et les indigents avaient droit à la soupe trois fois par jour. Les autres classes étaient un peu plus finement servies.
Pour tous, la viande et les légumes était abondants, mais pas toujours très agréables au goût. L'absence de beurre était flagrante… Le vin était présent sur les tables qu'en très petite quantité. L'eau restait la boisson principale pour arroser les repas.
Cependant, certains malades semblaient très bien s'accommoder de cette cuisine. Comme les autres, ils semblaient nullementpas souffrir de leur internement. Ils s'étaient heureusement habitués à cette vie et ne pensaient même pas à en changer. L’Asile était devenu pour leur maison, leurs compagnons de misère, et leur famille.
À l'heure des repas, les cloches précédemment citées se mettaient en branle. On voyait alors sortir en hâte de chaque pavillon, dans un grand bruit de galoche, la corvée de soupe se rendant à la cuisine. Cela faisait très « caserne ».
Les plats cuisinés étaient transportés par les malades dans des « tambours », sorte de petits conteneurs cylindriques en fer blanc, non isolé. Inutile de préciser qu'à l'arrivée dans le pavillon, la nourriture n'était plus très chaude.
Les plats qui ne pouvaient trouver place dans le « tambour » étaient portés à la main et se refroidissaient encore plus vite, et s'ils n'avaient pas de couvercle, ils n'arrivaient jamais exempts de poussière... ou d'eau de pluie, suivant le temps.
De nos jours, ses corvée de soupe n'existent plus. On a heureusement recours à des moyens beaucoup plus modernes et rapides pour la distribution des repas.
Au sujet des repas, le couvert de chaque malade était assez rudimentaire : il comprenait une gamelle, une cuillère et un gobelet, le tout en fer blanc. Le couteau et la fourchette, jugés trop dangereux, étaient exclus du service, de même que la serviette de table. Imaginez-vous de quelle façon ces pauvres malades pouvaient manger, avec quelle aisance...
De nos jours
Progressivement, l'Asile, devenu Hôpital Psychiatrique, va se dépouiller de son aspect « pénitencier ».
De nombreuses modifications favorables sont apportées à la loi du 30 juin 1938, qui améliorent nettement la condition de l'interné. Son séjour devient de plus en plus supportable.
Après de grands travaux de modernisation des locaux, le malade est hébergé beaucoup plus confortablement et avec plus de respect. Il n'a plus la terrible impression d'être « séquestré ». Il jouit d'une plus grande liberté, et surtout, il a cessé d'être exploité comme une main-d’œuvre gratuite.
Une équipe de médecins spécialisés, beaucoup plus complète s'occupent maintenant de lui, avec des moyens et des thérapeutiques bien mieux adaptés à chaque cas. Depuis des années, les calmants médicaux ont efficacement remplacé les bains prolongés, l'isolement cellulaire et la camisole de force qui semblait provenir d'un autre temps.
Le comportement des malades s'en trouve aujourd'hui fortement modifié. Vous pouvez longer les murs de l'hôpital : vous n'entendez plus crier les fous comme autrefois, surtout la nuit et lorsque le temps était au changement.
La tâche de l'infirmier, devenu beaucoup plus médical, ne se limite plus au simple rôle de gardien, travail très ingrat, peu agréable, répugnant même et qui comportait de gros risques, suivant l'état d'agitation du malade, souvent furieux.
Bien sûr, tous ces inconvénients du métier n'ont pas complètement disparu, mais la vétusté des bâtiments, ces salles difficiles à tenir propres, qu'où régnait en permanence une désagréable odeur de Javel et de serpillière souillée, que le manque d'équipements et de moyens pratiqués ajoutaient encore aux dures conditions de travail, n'existe plus.
L’heureux résultat est que le malade mental a aujourd'hui près de lui un infirmier spécialisé, largement formé pour ce métier, et non plus un « cerbère » ou un… « geôlier ».
En 1984, nous sommes déjà bien loin de l'ambiance carcérale d’il y a des années…
Le changement radical correspondant à l'esprit d'humanisation des hôpitaux psychiatriques qu'il, sous le terme savant de psychopathe, a voulu considérer les aliénés non seulement comme des malades mentaux mais comme des malades tout court. Évidemment, tout cela a coûté très cher, et le coûte encore énormément par rapport aux années 1920.
Aujourd'hui, la journée d'hospitalisation des malades au Centre Hospitalier Spécialisé de Saint-Égrève s'élève à environ 1400 F, ce qui représente peu prés 13 300 fois ce que son prix était en 1928.[JMD1]
Ces chiffres quelque peu démesurés peuvent surprendre, mais il faut tout d'abord tenir compte de la forte et continue inflation monétaire qui n'a cessé de se manifester pendant ce siècle. Pour se faire une idée de comparaison, en 1928, un servant ou un préposé débutait avec un salaire d'environ 530 F de l'époque, alors que ce même employé recevait 4500 F en 1984, soit 850 fois plus.
Les autres raisons de cette étonnante augmentation du prix de journée sont dues à plusieurs facteurs :
1 - À un effectif du personnel considérablement accru : 1350 agents, largement cinq fois supérieur à celui de 1928 :
- Par la réduction légale des heures de travail,
- Par le départ des religieuses qui ont quitté l'hôpital psychiatrique en 1958, après 115 ans de service bénévole, et par le non-emploi des malades à divers postes,
- Par toute une série de lois sociales entraînant des créations de services nouveaux,
- Par la présence d'équipes médicales renforcées, ou para-médicales nouvelles.
- Par les besoins d'une gestion administrative toujours plus complexe, réclamant davantage d'employés.
2 – Au coût très élevé des médicaments, radios et analyses, utilisés beaucoup plus largement qu'autrefois. Et aussi aux dépenses de plus en plus considérables qu’exigent l'équipement et le fonctionnement d'un Établissement médical moderne.
3 – À la disparition de la participation nourricière, non négligeable de l'exploitation agricole.
4 – Enfin, à l'effectif dégressif des hospitalisés, nettement moins élevé qu'en 1928, puisque le Centre Hospitalier Spécialisé de Saint-Égrève, n'abrite aujourd'hui qu'environ 400 malades[JMD2], en dehors de ceux qui reçoivent à domicile, ou hors du centre, des soins et sont suivis par des équipes médicales appartenant à cet établissement.
Certainement que le nombre relativement élevé du personnel, en comparaison avec un effectif de malades assez faible, doit être aussi un facteur dans la détermination du prix de journée.